Lettre ouverte à Monsieur le Gouverneur de Ségou
Monsieur le Gouverneur,
Permettez-nous de vous adresser nos vives félicitations pour votre nomination à la tête de la région de Ségou par le Gouvernement de transition. Gouvernement auquel le Peuple malien plus précisément la frange paysanne fonde un espoir inestimable.
Votre nomination a pourtant suscité de l’espoir pour les populations de la région qui depuis quelques années ne vivent plus en paix, Sansanding, les 7 villages de San mais ici c’est pour plus particulièrement celles de Sanamadougou-Bamanan et de Sahou.
Depuis l’arrivée en 2010 de la société caméléon du fameux Modibo Keita, d’abord GDCM ensuite Société M3 SA puis CAI SA, surement il faut s’attendre avec un autre nom dans l’avenir, la zone est en trouble :
– Les paysan-ne-s de ses deux villages, environ 4000 personnes, se retrouvent spoliés de leurs terres, de leur espace vital villageois, les plongeant dans la pauvreté et presque la famine. Alors que ces villages de part leur production céréalière excédentaire (mil) en production ont eu à donner (gratuitement) au gouvernement 60 tonnes de mil pour les populations du Nord lors de la dernière sécheresse.
– Des citoyen-ne-s de ce pays sont privé-e-s de leurs champs qu’ils ont hérités de leurs grands parents avant même l’arrivée des colons, pendant trois bonnes campagnes agricoles au profit des intérêts d’un individu alors qu’il reste encore plus de 1 million d’hectares non aménagés à l’Office du Niger.
– Les violations de droits humains : des hommes et des femmes ont été battus à sang par des gendarmes jusqu’à ce que des femmes aient fait des fausses couches, d’autres enfermés arbitrairement dont des jeunes de 16 ans et des vieux de plus de 70 ans. Tout simplement parce qu’ils ont refusé de céder leurs champs et qu’on détruise leurs semis, leurs arbres sous leurs yeux pour installer un soit disant investisseur.
– Des villages sont volontairement complètement enclavés, vous avez certainement pu constater cela Monsieur le Gouverneur sur le terrain qu’il n’y avait pas la possibilité de se rendre à Sanamadougou à partir de Saou, ou même vers d’autres villages ou espace. Cette route a été barrée par le canal de la société M3 SA sans aucun passage pour les paysan-ne-s. Maintenant pour aller à Sanamadougou, on est obligé de faire le tour en passant par Diado en vue de bien contempler les réalisations du sieur Modibo Keita avant d’arriver à destination. Trouvez-vous cela normal ?
De nombreux courriers ont été adressés à tous les niveaux des autorités tant locales que nationales pour signaler les abus de Modibo Keita, des conférences et marches ont été organisées, mais rien n’a changé. Au contraire, le Manitou continue en toute impunité à s’accaparer des terres paysannes en les intimidant avec les gendarmes, sous quels ordres sont-ils ?
Bref, Monsieur le Gouverneur nous avons été surpris, d’ailleurs très surpris de vous voir avec votre délégation dans un publi-reportage diffusé le 10 avril sur l’ORTM, déclarant « qu’il faudrait deux fois plus de Modibo Keita ».
Ces propos auraient pu avoir tout leur sens si ce projet n’avait pas versé de sang. Ils auraient leur sens s’il n’avait pas conduit certains malien-ne-s à la dépendance et à l’humiliation. Enfin, ils auraient leur sens si l’investisseur n’avait pas transformé des paysans en jardiniers.
Cependant, quoi de plus normal pour un administrateur de féliciter un fils du pays qui offre des pommes de terres aux populations. Mais s’il se trouve que c’est ce même fils du pays qui a affamé ces populations, Monsieur le Gouverneur cela peut s’interpréter comme une foutaise. C’est pourquoi, nous vous invitons à vous renseigner auprès de ces mêmes populations. Vous vous rendriez compte que rares sont ceux qui ont quitté les lieux avec des pommes des terres. Cela est certain que vous regretterez vos propos. Nous vous comprenons pourtant car vous n’avez pas toutes les données en main d’abord de part votre nomination récente. Aussi nous vous invitons à exhorter la station régionale de l’ORTM à plus de professionnalisme et au respect de la déontologie de la presse dans le traitement des informations surtout celles relatives aux zones conflictuelles.
Par ailleurs Monsieur le Gouverneur nous tenons à vous informer que quelque jours après votre visite, la Société M3 SA de part ses installations a fait un autre meurtre à Sanamadougou. Ce fut dans la nuit du vendredi 12 avril 2013, trois jeunes voulant rentrer chez eux, à l’heure du crépuscule, très épuisés ont préféré traverser le canal à la nage que de faire le long détour. Malheureusement un des trois, Fousseiny Coulibaly est mort noyé. Paix à son âme. Monsieur le Gouverneur, transmettez nos remerciements au Sous-préfet de Sansanding qui dès qu’il fut informé de la situation, a dépêché deux gendarmes et un médecin avec le Maire pour faire le constat.
http://farmlandgrab.org/post/view/22037
La Convergence Malienne contre les Accaparements de Terre (CMAT), composée de 5 structures : AOPP, CAD-MALI, CNOP, LJDH et UACDDDD, a uni ses efforts et moyens pour soutenir ces villageois-es. Et par cette lettre entend jouer son rôle d’acteurs de la société civile auprès des victimes d’injustices sociales et d’abus de pouvoir. Bref, notre démarche a été tant bien que mal d’amener les paysan-ne-s à faire recours à la voie de la légalité comme l’unique moyen de revendiquer les droits. Seule gage pour la cohésion sociale, la paix que notre pays recherche aujourd’hui. Nous vous informons que depuis février 2011, les deux villages ont fait recours à la justice pour faire valoir leurs droits. Depuis le 20 novembre 2012, motivée par écrit le 18 mars 2013, affaire n° 29/R.G, n°29 /R.C et n°116 A.D.D, le Juge de Marka a désigné un expert pour faire une expertise sur le terrain litigieux. Cette décision normalement devait suspendre toute action sur le terrain. De plus une décision interministérielle en date du 22 mars 2013 n° 0588/MATDAT-SG émanant du Ministre de l’Administration territoriale, de la décentralisation et de l’aménagement du territoire vous a été adressée à ce sujet pour prendre les dispositions pour l’arrêt de l’avancée des travaux du tout puissant Manitou. L’Association des Organisations de Professionnelles paysannes, Coalition des Alternatives Africaines, Coordination Nationale des Organisations Paysannes du Mali, Ligue pour la justice et le Développement Humain et Union des Associations et Coordination d’Associations pour le Développement et la Défense des Droits des Démunis « ne touche pas à nos terres, nos maisons, nos militant-e-s ». En cette période de crise sociopolitique, les problèmes liés au foncier ne font que renforcer l’insécurité, la corruption et la précarité qui règnent dans notre Mali, que nous aurions voulu avec honneur nommé Maliba. En ces temps où le socle de l’économie et de l’organisation sociale sont basés sur le monde agricole, et qui le sera encore pendant de nombreuses années, quelle est la vision défendue par les autorités ?
Monsieur le gouverneur, représentant officiel du gouvernement dans la région de Ségou, ne pensez vous pas que c’est grâce à l’agriculture familiale que bon nombre d’entre nous ont des assiettes pleines tous les jours ? Si ce pays est ce qu’il est aujourd’hui c’est grâce aux paysans. Le Mali est redevable à ses braves paysan-ne-s et n’a pas le droit d’être ingrat à leur endroit. Au contraire ils devraient être prioritaires aux autres secteurs pour accroitre encore plus leur production, et cela passe forcement par leur sécurisation foncière et sociale.
Savez-vous, monsieur le gouverneur dans votre région de Ségou où se situe l’Office du Niger, les exploitations familiales n’ont cessé de voir leur parcelles diminuées (entre 0,20 et 0,47 ha par actif par famille). Pourtant chaque année ces mêmes exploitations contribuent à environ 8 milliards de FCFA à l’Office du Niger, de loin les premiers partenaires investisseurs de l’office du Niger !
Combien rapportent les soi disant investisseurs ou plutôt la bonne question serait combien nous coûtent ses investisseurs ? Pour qui produisent-ils ?
Monsieur le Gouverneur, nous n’avons aucune prétention de vous apprendre que l’indépendance et l’essor d’un pays passe obligatoirement par la garantie de la souveraineté alimentaire, et que cela ne peut être atteint sans « les petits paysans » comme le disent de façon ironique les investisseurs. Au regard de tout ce qui précède et vu l’approche de la campagne agricole, nous osons compter sur vous pour prendre toutes les dispositions utiles pour permettre à ses paysan-ne-s qui ont été arbitrairement dépossédés de leurs champs et espaces vitaux, que ça soit à Sanamadougou, Saou ou ailleurs, de pouvoir cultiver dès cette année, pour sortir de cette situation de mendicité, d’humiliation et d’injustice dont ils vivent plus de trois ans, en sécurisant leur terres pour les années à venir. Enfin nous osons croire que vous ferez de la lutte pour la recherche de l’équité, la cohésion sociale, la solidarité et la justice surtout en faveur des vaillant-e-s paysan-ne-s, votre cheval de bataille dans votre circonscription administrative tout au long de votre mission à Ségou.
Tout en comptant sur votre esprit de patriotisme, et votre diligence pour la prise en compte de nos doléances, nous vous prions Monsieur le Gouverneur, d’accepter l’expression de notre profonde gratitude anticipée.
Vive les paysan-ne-s ! Vive un Mali équitable et juste.
Ampliation :
– Primature Ministre ;
– Ministre de l’Administration territoriale, de la décentralisation et de l’aménagement du territoire ;
– Ministre de la justice ;
– Aux médias.
Source : Le Républicain du 06 mai 2013
– http://maliactu.net/accaparement-de...
Voir aussi à ce sujet :
– Agriculture Ségou : les champs sont au rendez-vous (Fasokan)
– Le Monde Diplomatique/CCFD : Webdocumentaire / Ruée sur les terres agricoles au Mali
– Terra-Eco / Au Mali, des paysans réclament leurs terres cédées à Kadhafi