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Dès les premiers coups de canon dans le Nord du Mali, des milliers de personnes ont fuit le territoire pour gagner le Burkina Faso. Dans la province du Soum, partie sahélienne du "pays des Hommes intègres", ils sont près de 5 mille à y trouver refuge. Comment se sentent-ils ? 48 heures pour comprendre le quotidien de ces populations dont les rêves se sont brisés.
Assis sur une natte recouverte d’un tapis multicolore à l’ombre d’un arbuste épineux au milieu de ses « frères », le petit Souleymane Ag Rhissa, 16 ans, s’interroge. Il ne comprend plus rien. Lui qui, par la force des choses, a été obligé d’abandonner ses cahiers et son pays pour se réfugier au Burkina Faso. Au lieu d’avoir les mêmes loisirs et les mêmes angoisses des adolescents de sa génération, il passe le plus clair de son temps à se tourner les pouces sur le site des réfugiés de Damba, un village de la province du Soum, dans le Sahel burkinabè, à une quarantaine de kilomètres de la frontière malienne. Fatigué des multiples déplacements de sa communauté à chaque rébellion touarègue, le jeune Souleymane confie, en ce 1er avril 2012, qu’il ne voit plus son avenir au Mali.
« Même si les choses redevenaient normales, je ne souhaite plus repartir au Mali. Je ne veux plus être obligé de m’enfuir et de perdre les parents. Je compte rester au Burkina, aller au Niger ou dans un autre pays où je pourrai me construire un avenir. Mon rêve, c’était de devenir gouverneur », confie-t-il avec un brin de tristesse. Comme Souleymane, ils sont nombreux ces enfants déplacés suite à la guerre au Mali, qui voient leur rêve s’écrouler comme un château de carte. Entre deux tentes ou sous les arbres, ils sont nombreux ces bambins à courir, sur la terre ferme et chaude, soit pour taper sur un ballon (fabriqué à base de sachets plastiques ou de chiffons trouvés sur place), soit à se pourchasser ou à se disputer l’ombre des arbres épineux avec les bœufs, chèvres et moutons. Les torses nus, maigrelets, ils essaient d’oublier la cause de leur arrivée au Burkina.
Après Damba, cap sur le site de Mentao Nord, situé à 15 km, à l’entrée sud de la ville de Djibo. Autre lieu, même décor, même réalité. Les nouveaux habitants, avec un chèche enroulé autour de la tête, ont dressé chacun, selon ses moyens, des tentes pour se loger. Contrairement aux enfants du site de Damba, ceux de Mentao Nord ont plus de chance. Ils ont parmi eux, des étudiants. Ces derniers ont décidé de se cotiser pour ériger une salle de classe à l’aide de branches sèches recouvertes de paille et de sachets plastiques noirs.
A l’intérieur, près de 30 enfants de tous les niveaux sont assis à même le sol ou debout pour recevoir le savoir. « Parmi nous, il y a des gens qui font l’arabe, l’anglais ou le français. Comme la connaissance est le seul bien qui peut être partagé sans se diminuer, nous avons pris l’initiative d’encadrer nos petits frères. Nous allons d’abord les évaluer pour connaître le niveau de chacun. Ensuite, nous allons les répartir par groupe. Nous n’avons pas de matériel, mais nous faisons ce que nous pouvons pour les aider. C’est ce que nous avons appris au Mali que nous dispensons aux enfants, donc on ne peut pas dire que c’est le programme malien », a déclaré un des encadreurs, Oumar Moussa Gohiba, précédemment étudiant en première année d’anglais à l’Université de Bamako. Selon Gohiba, ils ont besoin de soutien moral, matériel, financier pour tenir le coup.
Les réfugiés ont parcouru des centaines de kilomètres, les uns en voiture, les autres à charrette ou à pieds, en compagnie de leur bétail pour rejoindre le Burkina Faso. Ils sont issus de toutes les couches sociales : des fonctionnaires, des paysans, des éleveurs, des militaires…
Aly, né réfugié
Sur les différents lieux d’accueil, la précarité dans laquelle les femmes sont, frappe à vue d’œil le passant. Abiba Walété Aly de Mentao Nord, 20 ans, ne dira pas le contraire. Elle a fui de Mopti à Mentao avec une grossesse de huit mois. Laissant derrière elle son époux militaire. Arrivée le 2 février 2012, elle a réussi à mettre au monde son premier fils, le 9 mars à la maternité du Centre hospitalier de Djibo. « Lorsque je suis tombée enceinte, je n’avais jamais imaginé que mon enfant viendra au monde en tant que réfugié. Je lui ai donné le prénom Aly en mémoire de mon père. L’avenir de mon enfant dépendra des conditions dans lesquelles je vivrai. Son père est resté au Mali. Il a été informé de la naissance de son enfant. Mais cela fait 4 jours que je n’ai plus de ses nouvelles (NDLR : l’interview a eu lieu le 2 avril). Mon vœu est de voir mon fils grandir auprès de son père dans un Mali en paix », souhaite la primipare. Les différents tours effectués sur les sites ont permis de voir certaines femmes assises ou déambuler avec leurs grossesses, presqu’à terme. Mais difficile de faire parler une femme touarègue sans son homme à ses côtés. Coutume exige. Aussi, la barrière linguistique constitue un obstacle. Elles s’expriment pour la plupart en tamasheq (langue des Touaregs).
Si la nouvelle maman peut se réjouir de tenir son bébé, même étant en exil, d’autres par contre n’ont pas eu sa chance. Selon le témoignage de Moussa Ag Mohamed, enseignant dans un village de Gao au Mali, sur le site de Damba, il y a des femmes qui ont vu « leurs grossesses couler suite aux exactions », avant de prendre la clef des champs. « Il y a des femmes ici qui ont fait des fausses couches parce qu’elles n’ont pas pu supporter le choc, en voyant des armes pointées sur le front de leurs époux », témoigne l’enseignant.
Comme si le sort s’acharnait sur la nouvelle mère et ses semblables, il leur est difficile de faire convenablement leurs toilettes, de s’alimenter, de s’habiller et de prendre soin des enfants. Selon la présidente des femmes du site de Mentao Nord, Tazanelè Walete Aly, certaines de ses compatriotes sont arrivées sans emporter des tenues de rechange. « Nous avons une caisse dans laquelle nous mettons chaque semaine 100 FCFA afin de venir en aide à celles qui sont vraiment dans des situations déplorables. Nous retenons cette somme sur l’argent de condiments reçu souvent de nos maris », affirme-t-elle. « Nos femmes et les enfants piquent des crises à cause de la chaleur suffocante sous les tentes », renchérit Mohamed Aly AG Maha. Autre difficulté à laquelle est confrontée la « deuxième moitié du ciel », la déscolarisation de leur progéniture. Les enfants sont souvent victimes de maladies telles que le paludisme et la bilharziose. Installées à Damba, à Mentao ou dans la ville de Djibo, bon nombre de femmes réfugiées exerçaient au moins une activité rémunératrice au Mali. Tazanelè Walété Aly vendait des habits pour femmes et enfants et des chaussures à Mopti. Sur un investissement de 150 000 FCFA, nous apprend-elle, son bénéfice se situait entre 50 000 FCFA et 70 000 FCFA.
Cette somme lui permettait de subvenir à ses besoins de femme et de soutenir son mari. Désormais, elle vit grâce à l’aide apportée par l’action sociale, les organismes humanitaires et les populations riveraines.
Les tentes installées sur la plupart des sites en ce début du mois d’avril étaient construites à l’aide de matériaux locaux. Quelques branches fixées au sol et reliées entre elles par des fils ou des tendons et recouvertes partiellement ou totalement de bâches ou des morceaux de tissus et le tour est joué. A l’intérieur, les sacs, les assiettes, les vivres, cohabitent sans gêne. Ces abris de fortune qui poussent du sol à longueur de journée abritent pour la plupart deux, trois voire quatre familles.
Déchirure familiale
L’adaptation à cette nouvelle vie n’est pas aisée pour plusieurs d’entre elles. Ehya Ag Igatan de Damba a 28 ans. Après des études commerciales et en gestion administrative, il avait réussi à se décrocher un contrat dans une entreprise de biodiversité dans le département de Tombouctou au Mali. Aujourd’hui, il est attristé. « Je vivais dans une maison bien construite avec des briques en ciment. Regardez aujourd’hui comment je suis. Faute d’avoir assez de place pour tout le monde sous les tentes, je dors sous les arbres avec certains hommes à l’air libre avec tous les dangers que cela comporte. Notre préoccupation, c’est de protéger les femmes et les enfants. En aucun moment de ma vie, je n’avais pensé être dans de pareilles conditions. Avec le peu de moyens financiers que nous avions, nous étions contraints de louer un véhicule à 500 000 FCFA pour nous conduire à la frontière.
Que Dieu préserve chacun d’une telle situation », dit-il avec soupir. Dans le sauve-qui-peut occasionné par la rébellion au Mali, des familles se sont disloquées. Pendant que certains ont trouvé refuge au Burkina Faso, d’autres ont pris la direction du Niger, de la Mauritanie ou de l’Algérie. « Dans cet amalgame, ma famille s’est dispersée. Certains se sont réfugiés dans d’autres pays. Trois de mes cousins sont portés disparus. Nous n’avons aucune nouvelle d’eux. J’ignore s’ils sont vivants ou morts. On a tenté de m’étrangler avec mon turban. Mes agresseurs m’ont laissé pour mort et par la suite, je suis revenu à moi », confie Moussa Ag Mohamed. Quant à Mohamed Aly Ag Maha, c’est la crainte de revivre le drame qui a frappé son oncle et sa femme lors du conflit de 1992 qui l’a conduit à anticiper cette fois-ci, afin de sauver les vies de sa femme et de ses deux enfants. « Lors de la dernière rébellion, pendant que les gens fuyaient, le petit frère de mon père a refusé de partir. Il a été, par la suite, égorgé avec sa femme. C’est ce que je veux épargner à ma famille », indique-t-il avec amertume.
Difficile cohabitation entre réfugiés
Fuyant la furie des armes, des centaines de familles de Touaregs, d’Arabes peuplent la région du Soum. Venu pour la plupart avec le strict minimum comme bagages, chacun s’est installé comme il pouvait. Sur le site de Damba, les différentes habitations sont trop distantes. Après quelques échanges, l’observateur se rendra compte que la cohabitation entre les différentes familles n’est pas aisée. Les clivages du passé, le manque de confiance et la crainte de l’autre se font sentir. Ainsi, les réfugiés se sont installés par communautés. Mohamed Ould Sidi Amar, 66 ans, comme une grande partie des réfugiés arabes, a préféré abandonner les sites pour rejoindre la cité de Djibo. Il a, avec les membres de sa famille, loué un appartement de 300 000FCFA/ mois. 13 familles y sont logées. En même temps porte-parole de sa communauté, ce sexagénaire précise qu’ils sont plus de 800 réfugiés à s’être installés en ville. Il explique leur choix par le fait que leur « caractère et celui des Touaregs n’est pas identique ». Aussi, « pour assurer la sécurité de notre communauté, dit-il, nous avons préféré nous mettre à l’écart. Nous ne voulons pas que l’on nous confonde aux autres en cas de problème. Aussi, pensez-vous que quelqu’un qui est habitué à vivre dans une belle maison avec des meilleurs salons, puisse rester à l’ombre d’un arbre ? Le vent souffle sur lui, le soleil le tape, les insectes le piquent et je vous assure que c’est insupportable pour nous. Nous préférons la ville à la brousse ». Même son de cloche chez d’autres. Le besoin d’habiter avec sa communauté est visible.
Manatolahi, Touareg et secrétaire à l’information du bureau provisoire des réfugiés de Damba trouve que les choses sont meilleures ainsi. Il n’est pas question, à l’entendre, de « se mélanger aux autres ». Les réfugiés urbains vivent pour l’instant, selon leurs moyens. Ils mangent, se vêtissent à leurs frais. A la date du 2 avril, ils n’étaient pas pris en compte dans l’aide octroyée par les structures humanitaires. Pour le vieux Ould Sidi Amar, c’est injuste de la part des différentes structures d’aide de ne pas les prendre en compte même s’ils ont décidé de vivre en ville. Les difficultés sur le terrain sont multiples. Elles vont du manque de vivres pour les hommes et les animaux au problème d’eau potable et de sécurisation des sites en passant par l’insuffisance des soins médicaux et vétérinaires. Selon le secrétaire général du haut-commissariat de la province du Soum, Boukary Sawadogo, certes, il y a des problèmes, mais le manque de cohésion entre les réfugiés, eux-mêmes, ne facilite pas l’intervention de l’administration. « Le problème majeur qui existe aujourd’hui, c’est qu’il y a des clans entre les réfugiés. Les Ould, les AG et les Arabes ne veulent pas cohabiter. Entre les Touaregs eux-mêmes, il n’y a pas d’entente.
Ce matin, j’ai reçu des Arabes et ils m’ont fait savoir que même au Mali ils ne cohabitent pas », regrette le secrétaire général. Il est difficile, à l’en croire, pour les services compétents, de repérer les domiciles dans lesquels les réfugiés citadins sont installés, car Djibo n’est pas retenue comme site. « Nous les traitons tous de la même façon quel que soit le rang social que chacun avait au Mali. Certains étaient des chefs de fraction. Ils veulent toujours bénéficier des mêmes avantages dont ils jouissaient », insiste Boukary Sawadogo. Si les réfugiés s’acceptent difficilement, les rapports avec les populations d’accueil sont au vert. Les réfugiés rencontrés sont unanimes sur la question. Ils se sentent comme chez-eux. Les riverains les aident dans leurs travaux quotidiens (tâches ménagères, recherche d’eau potable, partage des zones de pâturage, soutien alimentaire…). Les propos du maire de Nassoumbou (département auquel appartient le site de Damba), Abdoul Salam Dicko, corroborent avec les témoignages. « Même s’il y a une petite méfiance, ils ont néanmoins les mêmes cultures. Cela fait que la cohabitation se fait sans problème », confie l’édile.
La collaboration est d’autant plus réelle que les populations autochtones participent aux évènements malheureux ayant frappé certaines familles de déplacés, reconnaît le préfet de Nassoumbou, Désiré Kiemdé. « Il y a eu deux décès d’anciens malades chez les réfugiés, mais les populations sont sorties les aider à enterrer les corps. Le premier est arrivé le 7 février dernier alors qu’il était sous perfusion. N’ayant pas pu supporter les secousses dues au voyage, il a succombé 6 jours plus tard (le 13 février). Aussi, une vieille femme d’environ 80 ans est décédée en début mars. Ces personnes ont été inhumées avec l’appui des riverains », témoigne le préfet. Hantés par le traumatisme vécu dans leur passé récent au Mali, les réfugiés sont déçus de leur présent. Ils se demandent alors de quoi sera fait leur futur dans ce désert burkinabè.
Qu’à cela ne tienne, ils remettent leur sort à la communauté internationale et surtout à la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) pour une issue définitive à leur problème. Car, pour eux, aucune population au monde ne veut se séparer de sa mère-patrie à cause de « l’insouciance de quelques individus ».
Ozias KIEMTORE (kizozias@yahoo.fr)
Sidwaya