Mais d’abord la chanson sous-titrée...
Fanta Damba [1] a été très tôt connue au Mali sous le sobriquet de « La Grande Vedette Malienne ». Elle est née en 1938 dans la région de Ségou, le coeur ancien du royaume bambara, dans une famille de griots (jeli). Son père et sa mère étaient musiciens. Elle a commencé à chanter dès ses premières années et a été confiée dès l’âge de 7 ans à une école de de griots. Formée par les meilleurs griots du pays, elle était déjà célèbre à l’âge de 16 ans. Sa carrière avec l’Ensemble instrumental du Mali, la radio et les disques qu’elle a commencé à enregistrer à 20 ans, ont amplifié cette renommée. La chanson présentée est sortie en disque en Allemagne en 1970. En 1975, elle fut la première griotte (jelimuso) a faire une tournée en Europe. Avec Mokontafe Sacko, elle fut parmi les premières griottes à connaître une renommée internationale.
Elle a été une source d’inspiration pour de jeunes artistes comme Mory Kanté, Youssou N’Dour ou Rokia Traoré bien avant que ces derniers n’accèdent à leur tour à une réputation internationale.
En effet, elle maîtrise le riche patrimoine de l’histoire du Mali en chants et en paroles. Elle était aimée pour cela ainsi que pour sa voix pleine d’émotion, et sans doute aussi à cause de sa sensibilité à la condition de ses contemporains. Sa façon de chanter était influencée par les mélodies et rythmes des bambaras de Ségou ; c’est son originalité par rapport aux nombreux griots réputés de l’ouest du Mali de langue malinké (maninka), une autre langue mandingue très proche du bambara, langue à laquelle elle fait d’ailleurs quelques emprunts…
Le Miniyan (ou miniɲan) est le « Python de Seba » (du nom du professeur qui l’a répertorié le premier). Le suffixe -ba signifie « grand, gros ». La chanson amplifie deux fois sa taille en le qualifiant de Saba (serpent-grand), ce qui est curieusement proche de son nom « scientifique » (de Seba). C’est en effet un animal qui peut atteindre une taille imposante (100kg, 5m), et qui vit a proximité des habitations humaines, et sur un territoire africain très étendu. Il a dans l’imaginaire malien une réputation de voyageur extraordinaire, capable même de survoler les villages. C’est également un animal sacré, dans une certaine mesure pas si éloigné du python de la mythologie grecque qui gardait l’entrée de Delphes. Le film de Dani Kouyaté, Sia, le rêve du python permet aux « étrangers aveugles » (dunan ɲɛntannci) que nous sommes de deviner cette dimension [2].
Dans cette chanson, le miniyanba voyageur est assimilé aussi bien à ceux qui partent à « l’aventure », vers l’étranger (tunga / tunkan) – une notion qui n’est pas réductible aux frontières nationales : il s’agit plutôt de l’inconnu qui peut aussi bien être la grande ville, par exemple pour un villageois ou une villageoise qui part à Bamako. Il est assimilé aussi à tous ceux qui mènent une vie de colporteur et vivent loin de chez eux, au premier rangs desquels les femmes, qui vivent chez leur mari, loin de leur cellule familiale et exposées aux humiliations si elles n’ont pas d’enfant, pas ou plus de mari, ou ont perdu la protection de leurs proches.
Il n’est donc pas surprenant que la chanson et son thème musical apparaissent régulièrement à propos des drames de l’émigration, comme cette belle histoire racontée par Luc Perez dans cette vidéo : Minyamba, de Luc Perez
Sources (2014) :
http://musiques-afrique.com/frames/art_damba_fanta.html
http://africanmusic.org/artists/damba.html
autre lien utile (2023) : https://www.afrisson.com/fanta-damba-18163/
Fanta Damba - Míniyanba
1970 Bärenreiter-Musicaphon – BM 30 L 2506
Míniyanba né m’à láwuli nìn mà. | Grand python, je ne l’ai pas fait pour ça [3] |
Eyaye | Eyaye [4] |
Sàbaminiyanba màkari bɛ́ dèli lè lá. | Grand serpent python [5], la compassion est dans l’amour [6] |
Sàbaminiyan ! | Grand serpent python |
Míniyanba hínɛ bɛ́ dèli lè lá. | Grand python, la pitié est dans la prière |
Sàbaminiyan màkari bɛ́ dèli lè lá. | Grand serpent python, la compassion est dans l’amour |
Míniyanba ɲɛ́ji míntɔ̀nɔ ká fìn [[Proverbe bambara : ɲɛ́ji bɛ́ bɔ́ tɔ̀nɔ kósɔn
Les larmes sont versées en raison d'un profit (perdu)
{On regrette quelqu'un à cause des services qu'il rendait.}
Charles Bailleul : Sagesse bambara, 3536
d'où la notion de {regret} dans cette traduction un peu éloignée de l'expression bambara : larmes dont le profit est sombre.
"profit": en réalité il s'agit de "l'utilité" de "l'importance" que chacun d'entre nous occupe dans la société auprès des siens. Le contraire serait un individu sans importance au yeux de la société et dont disparition se passerait comme si rien en était.]]. |Grand python, vois ces larmes de sombre regret !|
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|Eyaye |Eyaye|
|sabaminiyanba làtigɛ ká kɔ̀rɔ jɔ̀n yé. |Grand serpent python, la volonté divine est plus ancienne que la créature de Dieu [[en Bambara, ce qui est plus ancien est mieux ; "latigɛ" renvoie à un destin qui est avant tout écrit (par Ala, Maŋala, Dieu) ; "jɔn" l'esclave, ici dans le sens "serviteur" ou "créature" de Dieu]]|
|Sàbaminiyan! |Grand serpent python!|
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|Míniyanba n'í táara táa lè lá, |Grand python, si tu pars pour le voyage [[c'est à dire l'aventure, "tunga", l'étranger au sens de l'inconnu où l'on est seul sans le soutien des siens face a des dangers multiples]],|
|Sàbaminiyan ká dùwaw kɛ́ í fà̀lu yé. |Grand serpent python, que les bénédictions soient faites à tes pères|
|Míniyanba n'í táara táa lè lá, |Grand python, si tu pars pour le voyage,|
|Sàbaminiyan ká dùwaw kɛ́ í bá́lu yé. |Grand serpent python, que les bénédictions soient faites à tes mères|
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|Míniyanba n'í táara táa lè lá, |Grand python, si tu pars pour le voyage,|
|Sàbaminiyan ká dùwaw kɛ́ í kɔ̀rɔlu yé. |Grand serpent python, que les bénédictions soient faites à tes aînés|
|Míniyanba wólo tɛ́ kònaya sà. |Grand python, engendrer n'empêche pas de rester sans enfants,|
|Sabaminyan wólo jóona má kònaya sà . |Grand serpent python, se hâter d'engendrer n'a pas empêché de rester sans enfants,|
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|Míniyanba fúru má jàlonya sà.[[dicton : Fúru jóona tɛ́ jàlonjalon sà.
Le mariage précoce n'empêche pas le dévergondage.
{Quand le vice est invétéré, le mariage n'assagira pas.}
Charles Bailleul : Sagesse bambara, 3403]] |Grand python, le mariage n'empêche pas la débauche,|
|Sàbaminiyan fúru jóona má jàlonya sà. |Grand serpent python, se hâter de se marier n'a pas empêché la débauche,|
|Míniyanba ní dén tɛ́ mɔ̀gɔ mín fɛ̀, |
Grand python, celle qui n’a pas d’enfant, |
Dénmusonin dénkunntan déntigi b’à tìle k’í lá. | La jeune fille sans enfant, c’est celle qui en a qui profite d’elle, |
Míniyanba ní cɛ̀ tɛ́ mɔ̀gɔ mínfɛ̀, |Grand python, celle qui n'a pas de mari,|
|Dénmusonin cɛ̀kunntan cɛ̀tigi b'à tìle k'í lá. |La jeune fille sans mari, c'est celle qui en a un qui profite d'elle,|
|||
|Míniyanba ní bá tɛ́ mɔ̀gɔ mín fɛ̀, |
Grand python, celle qui n’a pas de mère, |
Dénmusonin bákunntan bátigi b’à tìle k’í lá. | La jeune fille orpheline de mère, c’est celle qui en a une qui profite d’elle, |
Míniyanba ní fà tɛ́ mɔ̀gɔ mínfɛ̀, |Grand python, celle qui n'a pas de père,|
|Dénmusonin fàkunntannu fàtigi b'à tìle k'í lá. |Les jeunes filles orphelines de père, c'est celle qui en a un qui profite d'elles,|
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|Míniyanba ní jìgi tɛ́ mɔ̀gɔ mín ná, |
Grand python, celle qui n’a personne sur qui compter, |
Dénmusonin jìgikunntan jìgitigi b’à tìle k’í lá. | La jeune fille sans soutien, c’est celle qui en a qui profite d’elle, |
Míniyanba ní dén tɛ́ mɔ̀gɔ mínfɛ̀ |Grand python, celle qui n'a pas d'enfant,|
|Dénmusonin dénkunntannu déntigi b'à tìle k'í lá. |Les jeunes filles sans enfant, c'est celle qui en a qui profite d'elles,|
|||
|Míniyanba né m'à láwuli nìn mà, |Grand python, je ne l'ai pas fàit pour ça|
|Sàbaminiyan màkari bɛ́ dèli lè lá. |Grand serpent python, la compassion est dans l'amour|
|Míniyanba ɲɛ́ji mín tɔ̀nɔ ká fìn. |
Grand python, vois ces larmes de sombre regret ! |
Eyaye | Eyaye |
Sàbaminiyanba làtigɛ ká kɔ̀rɔ jɔ̀n yé. | Grand serpent python, la volonté divine est plus ancienne que la créature de Dieu |
Sàbaminiyan, míniyanba túnga má dànbe lɔ́n [7]. | Grand serpent python, grand python, l’étranger ne reconnait pas la dignité |
Sàbaminiyan màkari bɛ́ dèli lè lá. | Grand serpent python, la compassion est dans l’amour |
Sàbaminiyan. | Grand serpent python |
Míniyanba ní cɛ̀ tɛ́ mɔ̀gɔ mínfɛ̀, |Grand python, celle qui n'a pas de mari,|
|Dénmusonin cɛ̀kuntan cɛ̀tigi b'à tìle k'í lá. |La jeune fille sans mari, c'est celle qui en a un qui profite d'elle,|
|Míniyanba ní bá tɛ́ mɔ̀gɔ mín fɛ̀, |
Grand python, celle qui n’a pas de mère, |
Dénmusonin bákuntan bátigi b’à tìle k’í lá. | La jeune fille orpheline de mère, c’est celle qui en a une qui profite d’elle, |
Míniyanba ní fà tɛ́ mɔ̀gɔ mínfɛ̀, |Grand python, celle qui n'a pas de père,|
|Dénmusonin fàkuntannu fàtigi b'à tìle k'í lá. |Les jeunes filles orphelines de père, c'est celle qui en a un qui profite d'elles,|
|Míniyanba ní dén tɛ́ mɔ̀gɔ mín fɛ̀ |
Grand python, celle qui n’a pas d’enfant, |
Dénmusonin dénkuntannu déntigi b’à tìle k’í lá. | Les jeunes filles sans enfant, c’est celle qui en a un qui profite d’elles, |
Míniyan, miniyan sɛ̀gira. | Python, le python est revenu |
Sàbaminiyan màkari bɛ́ dèli lè lá. | Grand serpent python, la compassion est dans l’amour |
Míniyanba túnga má dànbe lɔ́n. | Grand python, l’étranger ne connait pas la dignité |
Eyaye | Eyaye |
Sàbaminiyanba làtigɛ ká kɔ̀rɔ jɔ̀n yé. | Grand serpent python, la volonté divine (volonté de Dieu) est plus ancienne que (précède) la créature de Dieu |
Sàbaminiyan | Grand serpent python |
Míniyan, míniyan sɛ̀gira. | Python, le python est revenu |
Sàbaminiyan màkari bɛ́ dèli lè lá. | Grand serpent python, la compassion est dans l’amour |
Sàbaminiyan. | Grand serpent python |
Nos remerciements à Soumaïla Camara qui nous a fait découvrir cette chanteuse et sans les lumières duquel nos tentatives de transcription et de traduction seraient restées truffées de contresens parfois très fantaisistes !
Messages
1. Miniyamba, de Fanta Damba, 4 février 2015, 11:36, par marilou
Merci Jean Jacques pour toutes ces précisions que tu nous donnes en plus du reste …. C’est une vraie richesse.
2. Miniyamba, de Fanta Damba, 21 avril 2015, 00:49, par Toure
Une voie en or
3. Miniyamba, de Fanta Damba, 18 janvier 2016, 22:17
Bonjour,
Je vous remercie de tout le travail que vous faites pour mettre en valeur cette belle langue qu’est le bambara.
J’ai longtemps cherché une transcription de cette chanson. Je suis donc heureux de pouvoir également la lire.
Je me permets de vous soumettre une suggestion de transcription : l’interprétation de la chanson ’’Suba’’ (je pense notamment à celle de Sory Kandia Kouyaté en 1973 : ’’Siiba’’).